Médicaments et risque de décès : ce que révèle l’étude UK Biobank (et comment l’interpréter)

Une grande étude de cohorte britannique a observé comment l’utilisation de 406 médicaments prescrits était associée au risque de mourir toutes causes confondues. Certains médicaments sortent du lot avec une association « protectrice », d’autres avec une association « défavorable ». On vous explique simplement, sans alarmisme et avec les limites nécessaires.

De quoi parle exactement l’étude ?

Des chercheurs ont analysé les données de 483 627 adultes de la UK Biobank, suivis en moyenne pendant 13,8 ans. Ils ont croisé les médicaments prescrits (les 406 plus fréquents) et les décès survenus (40 252 au total, soit 8,4 %), puis ont ajusté les calculs sur des facteurs importants (âge, sexe, tabagisme, diabète, cancers, etc.). L’étude a été publiée en 2024 dans la revue Aging Cell et présentée aussi sur le site de la UK Biobank.

Deux définitions utiles

  • UK Biobank : grande base de données de santé du Royaume-Uni, avec examens, dossiers et suivis de centaines de milliers de volontaires, utilisée pour la recherche.
  • HR (Hazard Ratio) : « ratio de risque ». Un HR de 1,00 = pas d’association ; < 1,00 = risque plus faible ; > 1,00 = risque plus élevé, toutes choses égales par ailleurs (après ajustements). Cela ne prouve pas une cause directe.

Résultat global : beaucoup de médicaments apparaissent associés à un risque plus élevé de décès. Ce n’est pas surprenant : ils sont souvent prescrits à des personnes plus malades. Mais 14 molécules (ou classes) montrent l’association inverse, c’est-à-dire un risque plus faible. Les auteurs insistent : il s’agit d’associations, pas de preuves de causalité (nous y revenons).

Médicaments associés à une mortalité plus faible

Parmi les signaux « favorables », on trouve :

  • Sildénafil (inhibiteur de la PDE5, connu pour la dysfonction érectile) : HR ≈ 0,85. Les auteurs proposent comme piste une amélioration de la fonction endothéliale (les vaisseaux), connue pour être liée au risque cardio-vasculaire. Sildenafil 100 mg
  • Tadalafil (autre PDE5) : lien encore plus marqué à dose de 10 mg (HR ≈ 0,72). Des travaux cliniques récents, indépendants de la UK Biobank, ont déjà rapporté des associations avec moins de décès et moins d’événements cardio-vasculaires chez des patients traités pour dysfonction érectile. Tadalafil 20 mg
  • Atorvastatine 20 mg : HR ≈ 0,91. Effet cardioprotecteur attendu des statines en prévention. À noter : ce bénéfice n’était pas observé à 80 mg (voir plus bas pour l’effet des doses).
  • Naproxène (AINS) : HR ≈ 0,90. Hypothèse : effet anti-inflammatoire. Mais les AINS ont des risques digestifs et cardio-rénaux bien connus — prudence (voir encadré).
  • Œstrogènes (estradiol, estriol, formes locales vaginales) : HR ≈ 0,67–0,75 chez des femmes ménopausées. Plusieurs études sur l’hormonothérapie ménopausique montrent des résultats nuancés selon la voie, la dose et l’âge au début du traitement. Ici, le signal porte surtout sur des formes locales, avec potentiellement des effets systémiques moindres.
  • Inhibiteurs SGLT2 (ex. dapagliflozine) : réduction notable du risque (HR ≈ 0,64) dans la Biobank, bien que sur petit effectif. Cela colle avec des études cliniques et méta-analyses montrant moins de décès et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque avec cette classe.

Médicaments associés à une mortalité plus élevée

De nombreux médicaments apparaissent « défavorables » dans une étude de ce type. Attention : cela reflète souvent la gravité de la maladie pour laquelle ils sont prescrits (on appelle cela un biais d’indication). Exemples :

  • Morphine : HR ≈ 5,56. L’opioïde est fréquent en soins palliatifs, en oncologie ou pour douleurs chroniques sévères ; l’association observée traduit surtout la gravité des situations cliniques, sans exclure ses risques propres (dépression respiratoire, chute, dépendance).
  • Furosémide : HR ≈ 2,00. Diurétique clé de l’insuffisance cardiaque : le signal reflète probablement la sévérité de la maladie sous-jacente plutôt qu’un effet toxique autonome.
  • Paracétamol : HR ≈ 1,48. Ici encore, consommation fréquente = douleurs chroniques et comorbidités. L’étude ne dit pas que « le paracétamol tue », elle suggère qu’il est plus souvent utilisé chez des personnes fragiles.
  • Bromure de tiotropium (inhalé dans la BPCO) : HR ≈ 1,96, très probablement parce que la BPCO sévère elle-même augmente la mortalité.
À retenir : une association avec un risque plus élevé n’implique pas que le médicament soit « mauvais » en soi. Elle peut signifier que le médicament est donné dans des situations médicales plus graves.

La question des doses : même médicament, effets différents

Le papier explore aussi des liens dose-dépendants. Par exemple, l’atorvastatine 20 mg est associée à un risque plus faible (HR ≈ 0,91), alors que la dose de 80 mg est associée à un risque plus élevé (HR ≈ 1,29). Cela ne signifie pas que la forte dose est « nocive » : il est possible que les médecins réservent 80 mg à des patients plus à risque (prévention secondaire après infarctus, etc.), déjà exposés à une mortalité plus élevée. Des observations similaires apparaissent pour certains antidépresseurs tricycliques et pour les opioïdes.

« Et la metformine, alors ? » — neutre dans cette analyse

À contre-courant de sa réputation « pro-longévité », la metformine ne présente ici aucune association nette avec la mortalité (HR ≈ 1,01). Faut-il en conclure qu’elle n’apporte rien ? Non. D’une part, la metformine reste utile pour le diabète ; d’autre part, l’étude n’est pas un essai randomisé et elle inclut des profils de patients très différents. À l’inverse, les SGLT2 ressortent plutôt « favorables », ce qui recoupe leur bénéfice cardio-vasculaire observé dans d’autres grands jeux de données et essais.

Pourquoi ces résultats n’établissent pas de causalité

  • Biais d’indication : certains médicaments sont donnés aux patients les plus malades (ex. furosémide), ce qui gonfle artificiellement l’association avec la mortalité.
  • Facteurs confondants : même avec des ajustements (âge, tabac, diabète…), il reste des éléments impossibles à mesurer parfaitement (sévérité exacte de la maladie, fragilité, observance, contexte socio-économique…).
  • Prescription et « dose de réalité » : les médecins ajustent en continu les traitements ; ce pilotage fin n’apparaît pas toujours dans les modèles statistiques.

Les auteurs suggèrent que ces signaux servent de points de départ pour des essais randomisés ou des ré-analyses pharmaco-épidémiologiques, pas de verdicts définitifs.

Zoom sur quelques « bons élèves » présumés

PDE5 (sildénafil, tadalafil)

Au-delà de l’érection, les inhibiteurs de la PDE5 ont des effets vasculaires (sur l’endothélium, la circulation pulmonaire), et sont d’ailleurs utilisés aussi dans l’hypertension pulmonaire. Des travaux observationnels récents (hors UK Biobank) suggèrent moins de décès et d’événements cardio-vasculaires chez des patients prenant du tadalafil ou du sildénafil, mais là encore : ce sont des associations, à confirmer par essais dédiés.

Statines (atorvastatine)

L’association « favorable » à 20 mg est cohérente avec la prévention cardio-vasculaire. L’absence d’association favorable à 80 mg pourrait simplement refléter le fait que cette dose est réservée à des patients plus graves, déjà à haut risque (prévention secondaire intensive).

SGLT2 (ex. dapagliflozine)

Les SGLT2 ont montré en essais cliniques une baisse des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et parfois de la mortalité, y compris chez des personnes non diabétiques atteintes d’insuffisance cardiaque : ce « bonus » dans la Biobank n’est donc pas totalement une surprise.

Et les « mauvais élèves » ?

Les opioïdes forts (ex. morphine) sont indispensables en cancérologie et en douleurs rebelles ; leur association défavorable reflète avant tout le contexte clinique. Idem pour des inhalateurs de BPCO sévère (tiotropium) ou le furosémide en insuffisance cardiaque. Reste qu’une utilisation prudente et réévaluée régulièrement est importante : dose minimale efficace, durée la plus courte possible, alternatives quand elles existent.

Ce que cette étude peut (vraiment) changer

  • Pour la recherche : identifier des pistes « protectrices » à tester dans des essais randomisés (ex. PDE5, SGLT2 chez certains profils).
  • Pour les soignants : réinterroger des habitudes de prescription (ex. durée des AINS, choix de dose statine, utilisation des SGLT2 chez patients à risque cardiaque).
  • Pour chacun de nous : se rappeler que le contexte compte (maladie, dose, durée, interactions) et que les choix se font au cas par cas.

Conseils pratiques (généraux) à discuter avec votre médecin

  • Revoyez régulièrement votre liste de médicaments : certains peuvent être dé-prescrits ou allégés, d’autres mieux optimisés (dose/forme).
  • AINS (naproxène, ibuprofène) : dose minimale, durée la plus courte ; envisager une protection gastrique si vous êtes à risque, et prudence si vous avez cœur/reins fragiles.
  • Statines : la bonne dose est celle qui correspond à votre niveau de risque et d’objectifs (LDL, antécédents).
  • SGLT2 : si diabète ou cœur fragile, demandez si vous êtes éligible.
  • PDE5 : utiles pour la dysfonction érectile, globalement sûrs chez les patients stables sur le plan cardio-vasculaire (attention aux contre-indications avec les nitrés).

Questions fréquentes

« Donc, tel médicament fait vivre plus longtemps ? »
Non. L’étude montre des associations, pas des preuves de cause à effet. Pour savoir si un médicament prolonge la vie, il faut des essais randomisés (on tire au sort qui reçoit quoi).

« Pourquoi le paracétamol ressort “défavorable” ? »
Parce qu’il est beaucoup utilisé par des personnes avec douleurs chroniques ou maladies sous-jacentes. Ce profil explique probablement une partie de l’association.

« Je prends une statine forte dose, dois-je diminuer ? »
Ne changez rien sans avis médical. La forte dose est souvent indiquée après un infarctus ou chez des personnes à très haut risque ; le bénéfice cardioprotecteur est majeur dans ces cas. L’association observée reflète surtout la gravité initiale.

« Et l’hormonothérapie ménopausique ? »
Les formes locales (vaginales) présentent un profil systémique plus faible que les formes orales. La décision dépend de l’âge, des symptômes, des antécédents. Parlez-en avec votre gynécologue.

Sources (pour aller plus loin)

À retenir en 30 secondes

  • Grande étude d’observation (≈ 484 000 personnes, suivi ≈ 14 ans) : des associations entre certains médicaments et la mortalité toutes causes.
  • Quelques signaux « favorables » (PDE5, atorvastatine 20 mg, naproxène, œstrogènes locaux, SGLT2) et « défavorables » (opioïdes forts, furosémide, tiotropium, paracétamol)… à interpréter avec prudence.
  • Ce n’est pas une preuve de cause à effet. Ne changez jamais un traitement sans en parler à votre médecin.
  • Ces résultats servent surtout à orienter de futurs essais et à questionner nos habitudes de prescription.