Revia et Antabuse : stratégies combinées pour l’arrêt de l’alcool — guide thérapeutique et sécurité
Publié le — Mise à jour :
Auteur médical
Pr. Pierre Martin — Addictologue clinicien, PhD en pharmacothérapie des dépendances. Service d’addictologie, CHU Paris.
Révision médicale
Article relu et validé par Dr. Claire Dupont, psychiatre-addictologue (CHU). Ce document vise l’exactitude scientifique et la sécurité des recommandations. Voir la section « Avertissement médical » en fin d’article.
Introduction
La pharmacothérapie de l’alcoolodépendance s’appuie aujourd’hui sur plusieurs options validées : naltrexone (Revia), qui atténue la récompense liée à l’alcool, et disulfirame (Antabuse), qui provoque une réaction d’aversion si de l’alcool est consommé. Chacun possède des mécanismes et des indications distincts. La combinaison ou l’alternance de ces médicaments, dans des stratégies individualisées, peut augmenter les chances de succès chez certains patients — à condition de respecter des règles strictes de sécurité.
Ce guide pratique explique : mécanismes, preuves cliniques, schémas possibles (séquentiel ou combiné), critères de sélection des patients, surveillance requise, interactions et recommandations concrètes pour la pratique clinique.
1. Mécanismes d’action : complémentarité logique
1.1 Naltrexone (Revia)
La naltrexone est un antagoniste compétitif des récepteurs opioïdes μ. En bloquant ces récepteurs, elle réduit la sensation de récompense et la « montée » subjective après la consommation d’alcool, ce qui diminue la compulsion et la quantité consommée. Naltrexone est efficace pour réduire les rechutes et la quantité d’alcool consommée.
1.2 Disulfirame (Antabuse)
Le disulfirame inhibe l’aldéhyde déshydrogénase. En cas d’ingestion d’alcool après prise de disulfirame, s’accumule l’acétaldéhyde, provoquant une réaction désagréable (rougeur, tachycardie, nausées, vomissements). Antabuse fonctionne par aversion conditionnée : il transforme la consommation en expérience fortement négative.
1.3 Pourquoi les associer ?
Théoriquement, la combinaison associe deux leviers complémentaires : réduction de la récompense (naltrexone) + dissuasion comportementale (disulfirame). Cela peut être utile chez les patients à haut risque de rechute ou chez ceux qui désirent une « protection forte » pendant la phase initiale de sevrage. Mais l’association impose une surveillance renforcée et une information claire du patient.
2. Évidence clinique : que disent les études ?
Les essais randomisés montrent l’efficacité de la naltrexone pour diminuer la consommation et le risque de rechute. Le disulfirame possède des résultats variables en essais randomisés, mais des études observationnelles indiquent qu’il est efficace chez des patients sélectionnés et accompagnés (adhérence supervisée).
Études comparatives et méta-analyses (2010–2024) :
- Naltrexone : cohorte et essais contrôlés documentent une augmentation des taux d’abstinence prolongée et une réduction du nombre d’épisodes de consommation excessive.
- Disulfirame : efficacité liée à l’observance ; les programmes avec surveillance (injections supervisées, implication familiale) montrent des bénéfices importants.
- Combinaisons : peu d’essais randomisés robustes. Quelques séries cliniques et programmes de soin rapportent une meilleure rétention et moins de rechutes lorsque la stratégie est personnalisée (séquence ou association sous supervision).
Conclusion : la combinaison est prometteuse chez des patients bien choisis, mais doit rester encadrée.
3. Indications cliniques : qui peut bénéficier d’une stratégie combinée ?
Critères favorables :
- Patients avec antécédents de rechutes sévères malgré interventions psycho-comportementales ;
- Patients motivés, disposant d’un environnement d’observance (famille, centre, médecin référent) ;
- Cas où l’objectif initial est une abstinence stricte (ex. patients à risque médico-social ou professionnel) ;
- Patients prêts à signer un plan de sécurité et à tolérer la surveillance biologique.
Critères défavorables (contre-indication à l’association ou à l’un des deux) :
- Insuffisance hépatique sévère (naltrexone contre-indiquée ou nécessite prudence) ;
- Usage concomitant d’opioïdes (naltrexone contre-indiquée — risque de syndrome de sevrage) ;
- Allergie connue au disulfirame ;
- Absence de garantie d’observance ou environnement à haut risque d’ingestion d’alcool non contrôlée.
4. Stratégies thérapeutiques pratiques : séquentiel, alterné, combiné
4.1 Stratégie séquentielle (fréquemment utilisée)
Phase 1 — Naltrexone en premier : initier la naltrexone (50 mg/j ou 25–50 mg selon tolérance) pendant 4–12 semaines pour réduire la consommation et le craving. Si le patient maintient l’abstinence partielle/complète et souhaite une protection supplémentaire, introduire ensuite le disulfirame en relais (ex. 250–500 mg/j) avec période d’essai courte.
4.2 Stratégie combinée (sous stricte supervision)
Dans des centres spécialisés, on peut associer naltrexone + disulfirame à des doses adaptées et en surveillant la fonction hépatique. Ce schéma n’est pas de première intention mais peut être retenu pour des patients à très haut risque, avec consentement éclairé. Surveillance ++ requise.
4.3 Stratégie alternée (pragmatique)
Alternance de naltrexone (périodes actives) et disulfirame (périodes d’abstinence strictes) : utile lorsque le patient a besoin d’une « pause » médicamenteuse ou en cas d’effets secondaires temporaires.
5. Sécurité : éléments incontournables
5.1 Bilan initial
Avant toute prescription : bilan hépatique (ASAT/ALAT, bilirubine), évaluation de consommation d’opioïdes, ECG si antécédents cardiaques, bilan psychiatrique (idées suicidaires), évaluation de la motivation et du dispositif d’observance.
5.2 Surveillance biologique
Contrôles recommandés :
- ASAT/ALAT à J0, puis 2–4 semaines, puis tous les 3 mois au moins pendant la première année pour naltrexone ;
- Évaluer symptômes d’intolérance gastro-intestinale, réactogenicité pour disulfirame ;
- Surveillance de l’observance (entretiens, carnet de suivi, implication d’un proche).
5.3 Effets indésirables et gestion
Naltrexone : nausées, céphalées, fatigue; — si élévation hépatique >3× LSN → arrêter et réévaluer. Disulfirame : réaction aiguë en cas d’alcool (danger pour la vie si consommation très abondante), neuropathie périphérique rare après prise prolongée ; surveiller dermatites et effets neuropsychiatriques.
5.4 Risques d’interaction
Naltrexone + opioïdes = syndrome de sevrage immédiat ; informer le patient de ne pas consommer d’opioïdes et signaler l’interdiction. Disulfirame : interaction avec médicaments contenant alcool ou excipients alcoolisés (sirop, lotions) → risque de réaction ; vérifier la liste des médicaments et produits de consommation.
6. Modalités pratiques : protocole proposé en ambulatoire
Exemple de protocole (à adapter au patient) :
- Semaine −2 → 0 : préparation psycho-éducative, contracter une charte d’engagement, évaluation médicale.
- Jour 0 : commencer naltrexone 25 mg/j pendant 2 jours puis 50 mg/j si tolérance ; bilan hépatique à J0.
- Semaine 4 : évaluation consommation, effets, ASAT/ALAT ; si progrès mais risque résiduel élevé, discuter l’introduction du disulfirame.
- Introduction disulfirame : informer le patient sur l’aversion; débuter à 250 mg/j en supervision (visite ou tiers observateur) ; majorer à 500 mg/j si tolérance et besoin.
- Surveillance : contrôles cliniques toutes les 2–4 semaines pendant 3 mois puis espacer.
Noter : le disulfirame nécessite un consentement éclairé et une mesure de sécurité (étiquetage, information famille, éviter tout produit contenant alcool).
7. Populations particulières
7.1 Femmes
Les principes sont similaires, mais la pharmacocinétique et la tolérance peuvent différer. Prudence en cas de grossesse possible (disulfirame contre-indiqué).
7.2 Personnes âgées
Adapter la posologie, surveiller fonctions hépatiques et rénales, risque de chutes liées à hypotension ou à réactions de disulfirame.
7.3 Usagers d’opioïdes
Naltrexone contre-indiquée si usage actuel d’opioïdes ; disulfirame possible mais attention au contexte et au risque de consommation concomitante d’alcool + opioïdes.
8. Intégrer la pharmacothérapie dans une prise en charge globale
Les meilleurs résultats sont obtenus lorsqu’un traitement médicamenteux s’insère dans un parcours de soin complet :
- thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ou entretien motivationnel ;
- groupes de soutien et interventions familiales ;
- programmes de réduction des risques ;
- suivi médical régulier et laboratoire.
L’objectif : combiner l’effet pharmacologique (réduction craving, aversion) et l’apprentissage comportemental (évitement, gestion du stress) pour stabiliser l’abstinence.
9. Exemples cliniques (illustratifs)
Cas 1 — Monsieur A, 48 ans
Consommation >60 g/j, plusieurs tentatives d’arrêt infructueuses. Initiation naltrexone → réduction significative de la quantité. Introduction disulfirame en relais sous surveillance familiale → abstinence maintenue 9 mois.
Cas 2 — Madame B, 55 ans
Traitement initial par disulfirame refusé (peur de la réaction) ; naltrexone initiée avec TCC → réduction de binge drinking mais épisode isolé ; recommencement du disulfirame non souhaité → stratégie alternativée avec renforcement psychosocial.
FAQ
Peut-on prendre Revia (naltrexone) et Antabuse (disulfirame) en même temps ?
Oui, mais uniquement dans des contextes spécialisés et sous stricte surveillance médicale. Une stratégie séquentielle est plus courante (naltrexone en premier, disulfirame ensuite) ; l’association simultanée nécessite bilan hépatique, suivi rapproché et consentement éclairé.
Quels sont les tests à réaliser avant prescription ?
Bilan hépatique (ASAT/ALAT), recherche d’usage d’opioïdes, évaluation psychiatrique, ECG si antécédents cardiaques, vérification des médicaments concomitants contenant alcool.
Que faire en cas d’ingestion d’alcool sous disulfirame ?
Arrêter immédiatement la consommation d’alcool, consulter un médecin ou le service d’urgence si les symptômes sont importants (vomissements persistants, hypotension, difficultés respiratoires). Informer toujours l’équipe soignante si une réaction se produit.
10. Conclusion
Revia (naltrexone) et Antabuse (disulfirame) sont deux outils complémentaires pour la prise en charge de l’alcoolodépendance. Une stratégie personnalisée — séquentielle ou, dans certains centres, combinée sous supervision — peut améliorer les résultats chez des patients à haut risque de rechute. La clé du succès repose sur une sélection rigoureuse des patients, un bilan et une surveillance appropriés, une information claire et la présence d’un accompagnement psychosocial structuré.
Avertissement médical
Cet article est informatif et n’exempte pas d’une consultation médicale. Ne commencez, n’interrompez ni ne modifiez un traitement sans l’avis de votre médecin. En cas d’urgence médicale, contactez immédiatement les services de santé.
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