Pénuries de médicaments en Europe : un problème chronique qui touche les patients au quotidien
Résumé : depuis plusieurs années, les ruptures de médicaments essentiels se multiplient en Europe. Antibiotiques, antidouleurs, traitements pour enfants ou encore médicaments contre le cancer : de plus en plus de patients se retrouvent face à une pharmacie qui dit « désolé, ce produit est en rupture ». Un rapport récent de la Cour des comptes européenne (ECA) confirme que le problème est chronique et mal géré à l’échelle européenne. Dans cet article, nous expliquons en langage simple : pourquoi cela arrive, quels médicaments sont concernés, ce que les autorités prévoient, et surtout, ce que vous pouvez faire comme patient quand votre traitement n’est pas disponible.
Pourquoi parle-t-on de « pénuries » ?
Une « pénurie de médicament » signifie qu’un produit n’est plus disponible pendant une certaine période dans les pharmacies ou les hôpitaux, alors qu’il est toujours autorisé et normalement produit. Cela peut durer quelques jours, quelques semaines, ou même plusieurs mois. Dans certains cas, cela force les médecins et les pharmaciens à chercher des alternatives, parfois moins adaptées.
Exemple concret : en 2023 et 2024, beaucoup de parents en France ont eu du mal à trouver du Doliprane pédiatrique (paracétamol pour enfants). Certains ont dû couper ou adapter des formes adultes, avec les risques que cela comporte.
Un rapport qui alerte : 136 médicaments essentiels manquants
Selon la Cour des comptes européenne, 136 médicaments essentiels ont été signalés en pénurie aiguë dans l’UE entre janvier 2022 et octobre 2024. Cela inclut :
- des antibiotiques (amoxicilline, pénicilline) ;
- des antalgiques (paracétamol, ibuprofène) ;
- des traitements oncologiques (cancers) ;
- des antidiabétiques et médicaments cardiovasculaires.
L’ECA estime que les systèmes actuels pour gérer ces crises sont insuffisants : il n’existe pas de cadre commun fort à l’échelle européenne, et chaque pays réagit à sa manière.
Pourquoi y a-t-il autant de pénuries ?
1) Dépendance à l’Asie
Près de 80 % des ingrédients actifs des médicaments (appelés API) sont fabriqués en Inde ou en Chine. Quand une usine ferme, a un problème de qualité ou subit une catastrophe (séisme, pandémie, grève), cela bloque la production mondiale.
2) Prix trop bas en Europe
Certains médicaments anciens (antibiotiques de base, anticancéreux génériques) sont vendus à des prix très faibles en Europe. Résultat : les fabricants jugent la production peu rentable et se concentrent sur d’autres marchés, ou arrêtent carrément de produire.
3) Chaînes logistiques fragiles
Les transports mondiaux sont devenus instables : pandémie, guerre en Ukraine, blocages de routes maritimes (canal de Suez, mer Rouge). Une seule perturbation peut retarder des cargaisons de plusieurs semaines.
4) Mauvaise communication
Souvent, les pharmacies et les hôpitaux apprennent la rupture au dernier moment. Les systèmes d’alerte ne sont pas harmonisés entre pays, ce qui empêche d’anticiper.
Quels sont les risques pour les patients ?
- Retards de traitement : attendre plusieurs jours ou semaines avant d’obtenir un médicament vital.
- Substitutions forcées : changer de molécule ou de dosage, ce qui peut donner plus d’effets secondaires ou être moins efficace.
- Stress et anxiété : peur de ne pas pouvoir soigner un enfant, un proche âgé ou soi-même.
- Inégalités : certains patients ont plus de moyens (acheter ailleurs, se déplacer), d’autres non.
Exemple : une étude a montré que pendant la pénurie d’amoxicilline en 2023, beaucoup d’enfants ont reçu des antibiotiques « plus larges » (plus forts que nécessaire). Cela peut contribuer à la résistance bactérienne à long terme.
Que fait l’Europe ?
La Commission européenne a lancé en 2023 l’ESMP (European Shortages Monitoring Platform) pour recenser en temps réel les ruptures signalées par les États membres. Mais la Cour des comptes juge que cela reste insuffisant : il faut des mesures plus fermes.
Propositions de l’ECA :
- Créer un cadre légal européen spécifique pour les pénuries.
- Mettre en place des stocks stratégiques pour certains médicaments critiques.
- Améliorer la transparence entre laboratoires, grossistes et pharmaciens.
- Faciliter la redistribution de stocks entre pays de l’UE en cas de crise.
En parallèle, l’Agence européenne du médicament (EMA) discute avec les industriels pour sécuriser la production sur le sol européen. Mais cela prendra du temps.
Et en France ?
En France, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) publie une liste régulièrement mise à jour des produits en tension. Depuis la pandémie, elle reçoit un nombre record de signalements. Les pharmaciens peuvent parfois proposer des protocoles de substitution, mais cela ne marche pas toujours (pas d’équivalent exact, formes pédiatriques manquantes, etc.).
Le gouvernement a annoncé la création de « stocks de sécurité » pour certains médicaments, financés en partie par l’État. Mais pour le moment, cela couvre surtout des produits hospitaliers.
Que faire si votre médicament est en rupture ?
1) Demander à votre pharmacien
Il peut savoir si le produit revient bientôt, s’il existe un générique ou une alternative proche. Il peut aussi contacter le médecin pour adapter l’ordonnance.
2) Ne jamais improviser
Ne coupez pas les comprimés n’importe comment, ne doublez pas les doses pour « compenser », et ne prenez pas un reste de traitement ancien sans avis médical. Les erreurs de dosage peuvent être dangereuses.
3) Parler avec votre médecin
Il peut ajuster le traitement : changer la molécule, l’équivalence de dosage, ou parfois passer à une autre forme (comprimés vs solution buvable, etc.).
4) Anticiper
Si vous prenez un traitement chronique, n’attendez pas la dernière pilule. Renouvelez l’ordonnance à l’avance, gardez un petit stock de sécurité (selon ce que dit votre médecin).
Conseils pratiques pour les familles
- Pour les enfants : demandez au pharmacien les doses adaptées si le sirop n’est pas disponible. Ne jamais improviser avec les comprimés adultes sans guide.
- Pour les personnes âgées : vérifiez que la substitution ne change pas la facilité de prise (taille du comprimé, forme liquide vs solide).
- Pour les maladies chroniques (diabète, cœur) : informez immédiatement votre médecin d’une rupture, même si la pharmacie propose une substitution.
Une histoire qui se répète
Les pénuries ne sont pas nouvelles. Déjà dans les années 1990, certains vaccins manquaient régulièrement. Mais depuis 2018, la situation s’est aggravée. La pandémie de Covid-19 a mis en lumière à quel point l’Europe est dépendante de la production étrangère. Aujourd’hui, avec les tensions géopolitiques, cette fragilité se confirme. Beaucoup d’experts parlent d’un problème de « souveraineté sanitaire ».
Et demain ?
Les discussions sont en cours à Bruxelles pour créer une « autorité européenne du médicament » capable de mieux gérer les crises de pénuries, un peu comme l’Agence européenne de l’énergie. Des usines de production de principes actifs pourraient être relocalisées en Europe, mais cela prendra des années.
En attendant, la meilleure arme reste l’information claire et la coopération entre patients, pharmaciens, médecins et autorités.
En résumé
- Les pénuries de médicaments sont devenues chroniques en Europe.
- 136 médicaments essentiels ont manqué récemment, dont antibiotiques et anticancéreux.
- Causes : dépendance à l’Asie, prix trop bas, logistique fragile, manque d’anticipation.
- Conséquences : retards de traitement, substitutions forcées, stress pour les patients.
- Que faire ? Parler au pharmacien, consulter son médecin, anticiper les renouvellements, ne jamais improviser.
Important : cette page est informative et ne remplace pas un avis médical. En cas de rupture de traitement, consultez toujours un professionnel de santé.